Le sujet des derniers jours me rappellent de mauvais souvenirs de jeunesse. Lire ici, ici, là , encore là , et là -bas. Mais aussi ici (j’aime la dernière phrase tout particulièrement).
L’intimidation à l’école, c’est une sujet qui date. On en parle maintenant, les médias en font la une, les gens se scandalisent, mais comme Martin Petit le dit à la fin de son texte, “le monde aime pas le changement”. J’ai l’impression que demain, rien n’aura changé et que tout recommencera. Le même scandale ressortira dans 10 ans, quand un autre jeune en aura assez et fera sauter son école, et que l’on tentera encore de trouver des solutions à coups de commissions parlementaires et de dépenses sur des projets pilotes qui ne donneront peut-être pas grand chose. Criez moi cynique, mais pas grand chose ne changera selon moi. Et on me demande maintenant quand est-ce que j’aurai un enfant: j’ai envie d’en amener dans ce type de monde?
Pour avoir été la souffre-douleur durant mon enfance, je frissonne et sympathise avec la victime . J’aurais juste envie de le prendre dans mes bras et de le serrer fort, en lui marmonnant aux oreilles que ça va passer, qu’il est plus fort et meilleur que les autres, qu’il ira loin dans la vie (en tout cas, plus loin que la majorité d’entre eux); qu’on s’en fout qu’il soit “fif” ou non, qu’il est aimé quand même… Mais est-ce que le jeune qui souffre a envie d’entendre ces mots? Est-il capable d’en faire son mantra et de survivre à cette situation, de se rendre à l’âge adulte?
Parce que oui, c’est une question de survie ici. Survivre à l’âge ingrat qu’est l’adolescence. Survivre à toutes ces insultes, ces attaques à sa confiance, son amour de soi, son corps. Survivre à ces pressions sociales aussi: celle de se conformer aux autres, de ne pas être différent, de ne pas clâmer haut et fort qu’on l’est. Les effets pernicieux de l’intimidation et du rejet chez les victimes se font longtemps sentir. Je comprends mieux pourquoi j’ai un besoin d’attention intense par moment dans ma vie: je me suis cachée si longtemps dans les ombres et les coins à l’école que lorsque j’ai la chance d’avoir le spotlight je le prend.
Toujours est-il que je ne sais toujours pas comment j’ai survécu à mon enfance avec toute cette souffrance, toutes ces attaques physiques et psychologiques purement gratuites. Ça m’a prit des années à comprendre que non, en effet, je ne méritait pas toute cette méchanceté, cette haine contre ma personne, simplement parce que j’existais. Non, je n’étais pas une chienne, un objet à être tapé dessus. Oui, j’étais un être humain comme tous les autres et j’avais le droit de vivre. Que oui, j’avais le droit d’être différente, d’aimer lire, dessiner, marcher, écouter des Sherlock Holmes sur A&E, et de détester les Raiders (équipe américaine de football qui semblait être ben populaire durant ma 6e et mon secondaire 1). Mais ça m’a prit du temps à le comprendre, ça.
J’ai été chanceuse d’avoir quelques adultes qui m’écoutaient et m’aidaient à passer au travers, mais je sais pertinemment que plusieurs autres n’ont pas eu ma chance. Si vous prenez le temps d’écouter les jeunes, ils vous diront qu’une majorité de gens ne feront rien et laisseront les choses aller. De peur de devenir eux aussi des victimes du rejet; de peur que les jeunes en gang se décident à attaquer l’individu qui ose prendre la défense de la victime; de peur, tout simplement, d’agir. De peur de ne pas savoir quoi faire, aussi, et de sentir l’impuissance face à cette situation.
**********
J’étais Pitou en 5e année. Je n’ai jamais compris d’o๠venait ce qualificatif. Peut-être que ma haine des chiens me vient de ce simple mot qui me donne des frissons encore, et non du chien qui m’a mordu au visage. Passer du rà´le de la petite fille bien normale à celui de la nouvelle à l’école qui est détestée, ce fut difficile. Oh, ma mère m’avait préparée à me faire niaiser sur mon prénom: c’est cruel des enfants, et Débile était tellement évident comme insulte que je me l’étais appropriée…mais Pitou? Je ne l’ai toujours pas compris celle-là , même 18 ans plus tard. Et ce n’était que le début: les menaces de me péter la gueule après les journées de classe; les courses que je faisais pour m’embarrer le plus rapidement à la maison et me protéger; les dà®ners que je passais dans la classe avec la professeur, ou à la bibliothèque. Je ne m’étonne même pas que durant ma 6e année, j’ai manqué environ 7 mois sur 10. L’avantage de ne pas avoir eu le téléphone – ou une mère présente – à la maison durant cette année-là m’a été fort utile! Il y a eu un cà´té bénéfique: je passais mes après-midi à la bibliothèque municipale à lire. J’apprenais par moi-même, j’y développais mon cà´té autodidacte. Mais ce n’est pas tout le monde qui réussit à s’isoler dans la lecture et réussit à passer au travers du calvaire.
Oh, j’ai eu un répit en 6e: mes tortionnaires avaient tous été dans le programme linguistique à l’autre école. Mais l’entrée au secondaire fut l’enfer. Mes tortionnaires étaient de retour: les quelques amis que j’ai eu la chance d’avoir ont soudaiment disparus, et j’ai été me cacher de nouveau à la bibliothèque. Les ordinateurs n’étaient pas encore entrer dans les écoles secondaires à cette époque!
Avec les années, j’en ai eu ma claque. J’ai changé d’école. J’ai eu l’impression d’être une lâche, de m’enfuir au combat. Mais lorsque j’ai su que j’étais acceptée à cette nouvelle école – et en enrichie en plus! – un lourd poids s’est enlevé de mes épaules. Je pouvais tout recommencer à nouveau: me créer une nouvelle identité, une nouvelle personnalité. Je n’allais plus être hantée par Pitou. Je vous avouerai que j’ai profité de mes deux dernières semaines à mon école de merde pour régler des comptes: rien de mieux que de finalement ouvrir la case dans la face du p’tit comique qui te l’avait fait quelques mois plus tà´t devant tout le monde. Il ne l’a pas trouvé drà´le, finalement. Moi si, et ce même devant mon directeur. J’ai encore un sourire en coin en écrivant ces mots, même si je sais pertinemment que c’est un geste disgracieux et déplacé. L’extase ressenti avec la disparition du poids sur les épaules, vous n’en avez même pas une idée…
J’ai été chanceuse dans ma malchance. J’ai gardé mon mantra durant toute ma jeunesse. “Tu verras, tous ces idiots n’iront pas loin dans la vie; tu iras loin!”, “Ce sera mieux dès que tu seras une adulte”: combien de fois je me suis martelé ces phrases dans ma tête, dans mes cahiers de dessins et de notes. Je les regardais avec mépris. Je me créais une distance avec cette bande d’attardés. Je peux compter sur une seule main les amis qui me restent de mon temps à cet école de merde. En changeant d’école, j’ai réussis à me créer une gang qui m’acceptait comme j’étais. Encore là , j’ai été chanceuse, c’était des amis sympa, des êtres extraordinaires (dont plusieurs sont encore mes amis). Mais je m’étais dit que plus jamais je me laisserais marcher sur les pieds, que je redeviendrais Pitou…j’ai été quelques fois agressive et sur la défensive, j’ai prit une attitude plus “guerrière” et plus tomboy par la suite, mais je ne me laissais plus niaiser. C’était fini, le temps du rejet.
**********
Reste que ce phénomène ne se résolu pas facilement. On dit aux jeunes victimes d’en parler avec leurs parents, leurs profs, les adultes autour de soi, mais la majorité du temps, ça donne quoi? Même si j’en parlais, rien n’était fait envers ceux qui s’amusaient à m’insulter et me faire mal. Un certain laissez-aller s’est installé dans nos écoles secondaires, et en parlant avec mon cousin et ma cousine, je remarque que ce n’est tellement différent de mon temps. C’est beau sensibiliser, mais il faudrait commencer à agir. C’est beau des paroles, mais les gestes marquent plus. Une personne qui prend la défense d’un souffre-douleur; un groupe de l’école (profs, directeurs, psy) qui avisent les parents des jeunes pris sur le fait; un professeur qui sanctionne, ou du moins qui prend les moyens pour faire réaliser aux jeunes fautifs que ce qu’ils font est hyper néfaste; un passant qui aide le jeune qui se fait tabasser. Bref, il faut arrêter de se cacher les yeux. Il faut arrêter d’avoir peur de choquer aussi. Il est temps qu’on porte nos culottes de parents, d’éducateurs, d’adultes, et qu’on encadre nos jeunes. Leur expliquer que si on veut se faire respecter, qu’il faut respecter les autres aussi. Que ça ne se fait pas taper sur les autres jusqu’au temps qu’ils soient dos au mur, prit dans un coin. Ça finit très mal dans ces cas-là …
Bref, de conscientiser et de responsabiliser nos jeunes faces à leurs actes. Mais bon, on a justement le don de déresponsabiliser tout le monde, de nos jours! Alors comment peut-on se regarder dans le miroir, en tant que société, lorsqu’on est même pas capable d’assumer nos actes et de vouloir s’améliorer en apprenant de nos erreurs?
P.S. Je sais qu’il y a des gens qui aident ces jeunes en détresse. Je ne les vise absolument pas avec mon texte. Je tente juste de partager mon expérience de vie, et de sensibiliser les autres à ce sujet.